19 juin, de 9h30 à 18h00
ATELIER : DEPLACER/CONFRONTER LES REGARDS
Dans le corpus des représentations du territoire, il en est une qui fait naître des projets culturels portés par une volonté politique de dynamisation économique : celle d’un espace postindustriel à la recherche de nouvelles vocations urbaines qui pourraient voir le jour à travers la culture. Même si elle n’entre pas dans le projet culturel du MéPIC comme expérimentation muséale à l’échelle, cette vision des mutations qui associent l’espace-temps industriel et les politiques culturelles (patrimoine et création) est évidemment très présente sur les territoires concernés de la presqu’île de Caen.
Mais en envisageant ces territoires comme victimes d’un passé récent à réinventer pour l’avenir, ce regard tend à oublier le temps long qui est celui proprement géologique du paysage : si la Presqu’île est née de la création du canal de Caen à la mer au XIXe siècle, l’héritage industriel n’est pas le seul épisode historique à modifier ce territoire et laisser des traces sur ce secteur. Avant lui, nombreux sont les mouvements qui ont modelé cette géographie. Après lui, nombreux sont les événements qui façonnent le paysage que nous connaissons aujourd’hui.
Les interventions artistiques et scientifiques de cet atelier viseront ainsi à perturber la vision courante de ce territoire. Elles se donnent pour objectif d’exprimer le double potentiel de l’art et la science qui, ensemble et de manière très complémentaire, peuvent construire le déplacement du regard porté sur un lieu.
Dector et Dupuy – artistes
Balle perdue, performance artistique, visite guidée de la Presqu’île
Nous envisageons cette visite comme un collage. Une traversée des contraires: déplacement en bus, passif et surplombant et courtes marches actives et expérimentales. A la recherche d’une chose à regarder.
À travers les multiples facettes de cette bande étroite qui relie Caen à la mer, nous rebondirons de la guerre au balnéaire, de la cité ouvrière à l’estuaire, des ruines industrielles aux dunes cachant des bunkers dans leurs replis
Laurent Lespez – maître de conférences en géographie à l’université de Caen
Les possibles et nos représentations, la Presqu’île sous le regard de la longue durée
La presqu’île de Caen à la Mer est aujourd’hui le plus souvent considérée comme un espace portuaire postindustriel en déshérence qui doit se renouveler dans le cadre d’un projet urbain. Les représentations qui guident les projets contemporains s’inscrivent dans un ensemble de représentations qui émergent à la fin du XXe siècle et mettent en scène le rapport entre l’eau et la ville. Cependant, ces rapports ont profondément changé dans le temps parce que la basse vallée de l’Orne a été durablement transformée par l’aménagement portuaire et urbain puis par le déclin industrialo-portuaire. Ces réalités relativement récentes ont fixé la mémoire contemporaine et servent aujourd’hui de références. L’approche par le temps long permet de dépasser ces références qui font naître cet espace avec la création du canal de Caen à la mer au XIXe siècle. Elle révèle plusieurs métamorphoses successives au cours des derniers millénaires et attire notre attention sur des héritages biophysiques et paysagers inattendus et négligés. Elle permet ainsi de décaler le regard contemporain en révélant la diversité des environnements et des héritages biophysiques autant que sociaux et de mettre en perspective les choix faits par les gestionnaires et les aménageurs actuellement y compris dans leurs implications esthétiques.
écouter ses interventions : Laurent Lespez / Questions à Laurent Lespez
Jonathan Loppin – artiste
Sand Memorial, présentation de l’œuvre réalisée à Ouistreham
L’œuvre réalisée par Jonathan Loppin pour le Musée éclaté de la presqu’île de Caen réunit deux ressources touristiques bas-normandes – les plages du débarquement et les vacances à la mer. Le Sand Memorial est en effet conçu comme une contraction des codes des mémoriaux de guerre (ou des panoramiques peints de batailles comme ceux d’Odessa et de Lausanne) et des signes appartenant aux jeux pratiqués par les enfants, notamment sur les bords de mer. Les visiteurs découvrent sur la plage de Ouistreham le site reconstitué d’une bataille fictive totale (air, mer et terre), dont les éléments constitutifs sont des maquettes, des figurines et des jouets ordinaires destinés aux enfants. Le choix d’une bataille factice vise à écarter toute référence aux événements ayant effectivement eu lieu dans la région. Ce choix se traduit formellement par l’utilisation d’objets volontairement hétérogènes, dans leur échelle autant que dans leur origine et leur nature ; de même, les agencements créés ne font pas référence à de véritables tactiques militaires mais plutôt, là encore à des formes de jeux d’enfants : rondes, files indiennes, défilés. Jonathan Loppin interroge de la sorte la forme du mémorial en tant que lieu touristique, poursuivant son travail sur le potentiel mémoriel et sensible des lieux qu’il investit, dont il revisite l’histoire et les caractéristiques via ses installations.
écouter ses interventions : Jonathan Loppin / Questions à Jonathan Loppin
Nathalie Blanc – Directeur de recherche en géographie au CNRS
Esthétique environnementale : quels liens au politique ?
L’esthétique environnementale gagne peu à peu ses lettres de noblesse. Probablement que son émergence dans le champ de l’environnement correspond aux impasses relevées dans le domaine du développement durable et des sciences de l’environnement. Probablement que cela provient de la révision en profondeur du sens donné à la ville mais, après tout, peut-être pas… Pour comprendre d’où vient l’esthétique environnementale appliquée aux espaces urbains, il faut restituer l’ampleur d’une problématique. Cette problématique est celle d’une question qui secoue dans ses bases une conception du monde dite occidentale et qui sépare nature et culture. Sans revenir sur cette question maintes fois débattue, disons que cette relation prend forme sur le territoire avec les rapports entre ville et campagne, entre ville et nature. La ville est un espace éminemment humain, empreint de culture et d’histoire, un patrimoine qui n’est pas souvent considéré comme un paysage car il n’est pas assez naturel. La ville s’est inscrite en rupture et en opposition avec la nature, car elle est synonyme d’artificialisation des milieux et de corruption des mœurs. Dès lors, pour traiter d’esthétique environnementale, il faut commencer par parler de nature, et en particulier de nature en ville.
écouter ses interventions : Nathalie Blanc / Questions à Nathalie Blanc
Ariane Michel – artiste
Le denier voyage, présentation de l’œuvre réalisée à Sallenelles
Les œuvres d’Ariane Michel cherchent à décentrer notre perception du monde, à sortir de la vision anthropocentrée d’une nature domestiquée – incarnée par la notion de paysage. Elles tissent de nouvelles relations sensorielles avec ce qui nous entoure afin d’en rétablir l’irréductible différence et de proposer, sur les bases de cette égalité retrouvée, un vécu et une expérience partagés. Pour le Musée éclaté, Ariane Michel réalise une vidéo mettant en scène les conteneurs dans une nature où les éléments du paysage alentour (végétaux, animaux, minéraux…) sont des puissances percevantes. Elle rend ainsi visible la présence incongrue des conteneurs dans le marais de Sallenelles, un espace naturel protégé, tout en s’attachant à recréer une harmonie par la musique. Un percussionniste est en effet invité à jouer avec ces boîtes métalliques au milieu de la nature, transformant le conteneur en instrument sonore dont certains bruits rappellent les sons entendus dans les marais, d’autres renvoient au passé du conteneur abîmé par les voyages au bout du monde. Peu à peu une sorte de partition musicale se dessine, unissant les sonorités du paysage à celles que le musicien produit avec l’objet géant. Le conteneur qui était d’abord un intrus devient l’un des habitants du paysage, vivant, bruissant, en symbiose avec ce qui était là avant lui.
écouter ses interventions : Ariane Michel / Questions à Ariane Michel